Six mois ! Voilà déjà plus de six mois que Maurice et moi sommes revenus de Compostelle. C’est incroyable comme le temps peut sembler filer sans qu’on ne s’en rende vraiment compte. Souvenez-vous – pour ceux qui ont suivi -, nous sommes arrivés à St-Jacques, le 21 octobre 2010. Et après, que se passe-t-il ? Que dire de l’après Compostelle ?
Je ne peux que parler en mon nom… tout en espérant que Maurice aura le temps d’en faire autant. Personnellement, comme après chaque chemin accompli, c’est un bouleversement de ma vie qui a lieu. Ce qui fut vrai en 2001, lors de mon premier Camino, se reproduit chaque fois que je reviens de Compostelle. Certains domaines de ma vie sont toujours touchés, d’autres ponctuellement.
Faire le chemin, c’est pour moi partir à la rencontre du monde, mais aussi de moi-même. Je vois le monde comme un tout, les autres et moi reliés, sans vraiment être capable d’expliquer de quelle(s) façon(s). Je ne crois pas et n’ai jamais cru que « l’homme est un loup pour l’Homme ». Au contraire, même si l’actualité pourrait nous faire croire le contraire, je reste persuadé que nous avons besoin les uns des autres.
Oui, il y a de la violence. Oui, la mort frappe souvent de façon irrationnelle. Oui, la vie est dure. Sont-ce des raisons pour baisser les bras ? Sommes-nous irrémédiablement voués à nous combattre les uns les autres ? En ce qui me concerne, j’ai toujours refusé ce genre de constat. Il y a des jours plus difficiles que d’autres. Il y a de mauvaises rencontres, ça arrive. « Curieusement », ça m’arrive quand je suis de mauvaise humeur, quand je suis fatigué, quand j’ai mal dormi, quand je suis contrarié… « curieusement ».
En revanche, quand je fais le choix de faire un break. Quand je me dis « tu te prends un temps pour toi » ou « tu te prends un temps pour ton couple (ta famille, tes amis) », les choses se passent différemment. Et quand j’emploie les grands moyens, c’est à dire quand je saisis mon sac à dos et que je mets en marche, tout change. Moi, mon état d’esprit et bien entendu, le regard que je porte sur le monde qui m’entoure. Là, je réalise à quel point mon état d’esprit conditionne mes journées, mes semaines, mes mois… ma vie !
Il en va de même quand je décide d’appeler quelques personnes de mon entourage, plutôt que de leur envoyer un mail. Moi, qui à une époque ne pouvais rester quelques jours sans envoyer une carte postale ou une lettre manuscrite, j’ai perdu cette bonne habitude en m’en remettant à la messagerie instantanée. Quand il m’arrive de m’y remettre, je peux mesurer à quel point cela fait plaisir aux destinataires. Les nouvelles technologies – dont je suis fan – ont et auront toujours leurs limites. La rapidité est importante dans un sprint de 100 mètres. Mais en matière de relations humaines, le temps a une valeur inestimable. Pianoter sur un clavier pour envoyer un mail ne sera jamais comparable aux courbes qu’on s’appliquera à dessiner avec un stylo pour une personnes qu’on aime. Ça prend plus de temps… ça a plus de valeur..
Chacun de nous entretient un rapport qu’il lui est propre avec le temps. Ce qui me frappe quand je marche sur le Camino, c’est cette révélation qui est faite à la majorité des marcheurs, je parle de ceux un tant soit peu conscients : le temps est variable, malléable, on peut même – dans une certaine mesure – le contrôler. Le marcheur qui découvre ou réalise cela fait un bond en avant. Nous vivons dans un monde où tout va de plus en plus vite… laissant de plus en plus de monde sur le bas-côté. Il ne tient qu’à nous de choisir ce que nous ferons en passant devant ceux laissés-pour-compte. Depuis des années, j’ai cette pensée bizarre : si le Paradis existe, quel intérêt aurai-je à y arriver seul ? Toute proportion gardée, c’est ce que je me dis quand je marche sur le Camino et… dans la vie de tous les jours. Quand une occasion m’est donnée de me montrer altruiste, je la saisis.
Le temps passe, je m’en rends compte. Ce qui était important hier, ne l’est plus aujourd’hui. Des choses anodines par le passé prennent davantage d’importance maintenant. Mais finalement, ce qui me tient à cœur, la femme que j’aime, ma famille, mes ami(e)s, le respect des autres et de moi-même, tout cela ne change pas : c’est ce qui m’a aidé à me construire, c’est ce qui m’anime. Ce tout porte un nom : l’Amour. Je pense que tant qu’on est capable d’aimer, il nous est encore permis de rêver, donc d’accomplir de grandes choses.
Au fur et à mesure du temps, parcourir le Camino est devenu pour moi une sorte de baromètre de ma vie. Durant mes journées de marche, volontairement ou non, je prends conscience de ce qu’est ma vie. Je mesure aussi le chemin parcouru, là je parle de mon chemin de vie depuis mon premier Camino, en 2001. Pour ce périple en compagnie de Maurice, comme d’habitude, je ne suis pas revenu les mains vides. Même si je ne demande rien, tellement je suis heureux de pouvoir voyager de cette façon, je reviens toujours enrichi. Encore une fois, je suis rentré persuadé d’avoir un ami supplémentaire. Une personne sur qui compter et qui peut compter sur moi. Depuis que je suis tout petit, j’ai toujours accordé extrêmement d’importance à l’amitié et les ans passant, ça n’a pas changé. Bien au contraire.
Autre chose qui m’a beaucoup surpris et amusé. Pour la première fois, je ne faisais pas partie des gens tristes d’arriver à Compostelle, donc amenés à rentrer chez eux. Avant même les 100 derniers kilomètres, je savais que ce ne serait pas difficile d’arriver et de quitter St-Jacques pour rentrer à la maison et retrouver celle que j’aime. C’est la cinquième fois que je fais le Camino en entier, c’est la première fois que je ressens ça. A ceux qui étaient « contrariés » d’arriver, et surpris de ma réaction, j’ai envie de leur dire : ça ne m’empêchera pas de le refaire. La preuve, c’est déjà en projet.
Aller sur le Camino c’est pour moi comme rendre visite à un ami. Un vieil ami à qui vous avez des tas de choses à raconter mais avec qui vous n’avez pas toujours besoin de parler. Il vous connaît et sait ce qui vous aidera. Il sait vous écouter, vous faire parler si besoin est, mais toujours à votre rythme. Il sait passer outre vos colères, vos angoisses, votre entêtement. Avec le temps, il m’arrive même de me confondre avec le Chemin. C’est assez étrange comme sensation. Je ne marche plus sur le Camino, j’en fais partie, avant de le quitter pour mieux le retrouver. A l’image de ce monde fou dans lequel on vit.
Je n’oublierai jamais pourquoi un jour de mai 2001 je suis parti du Puy à Compostelle : parce que ce monde me dégoûtait. Trop de gens m’écœuraient par leurs paroles et leurs comportements. Quelques années plus tard et plusieurs milliers de kilomètres parcourus à pied, il m’a fallu admettre une chose très paradoxale : ce monde et ces gens qui m’écœuraient, aujourd’hui… je suis capable de les aimer aussi.
Il y a des gens qui vont très vite d’un point à un autre. Moi, j’ai besoin de temps…
Mahdi du Camino
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